CPE et flexibilité

Publié le par jean-paul Revauger

Modestes réflexions sur le CPE et la flexibilité.

 

  1. Une méthode désastreuse .

 

Sur la méthode employée pour faire pénétrer la flexibilité  dans la société française, on ne peut qu’être atterré par la maladresse de Dominique de Villepin. En effet, le projet de loi a été présenté et voté à la hussarde par l’Assemblée, en partie grâce au 49.3, et sans aucune concertation avec les partenaires sociaux. Il est clair aux yeux de tous, et en particulier des partisans de son rival, Nicolas Sarkozy, qu’il s’agissait avant tout pour le Premier Ministre de modifier, au yeux de l’électorat de Droite, son image jusqu’alors un peu trop gaulliste, et d’apparaître comme un vrai libéral, en phase avec les idées à la mode outre Atlantique. Le côté provocateur, et la fermeté affichée aujourd’hui au delà de toute raison et de toute prudence sont motivées par une   petite  tactique, pour ne pas dire une tactique petite.
Ceci est désastreux à deux titres, quelle que soit l’issue du conflit. D’une part nos universités sont sérieusement affectées,  à court terme, mais aussi dans le moyen terme, car il est à craindre que la sérénité, chère aux intellectuels malgré leur imparfaite gestion de leur production d’adrénaline, soit difficile à retrouver.  D’autre part la flexibilité, déjà mal vue par la société française, est maintenant durablement identifiée à une entreprise de démantèlement du droit du travail et  de dérégulation du marché du travail.

 

  1. Pourquoi la flexibilité ?

 

Les forces qui entraînent notre société dans la direction  de la flexibilité sont de deux types.

Il y a d’une part des facteurs objectifs, dans certains domaines, et dans certains domaines uniquement. Il est vrai que le rythme des choses a changé. De nouveaux produits apparaissent sur le marché, de nouvelles techniques, qui rendent vite obsolètes les anciennes habitudes, les anciens procédés de fabrication. L’adaptation est indispensable. Ceci est évidemment valable pour les secteurs confrontés à une vraie concurrence internationale, pas chez les vendeurs de pizzas ou les peintres, avec tout le respect que l’on doit à ces utiles professions. Pour s’adapter, ces entreprises confrontées au marché mondial ont effectivement besoin de flexibilité, que celle ci soit externe (on licencie et on embauche quelqu’un d’autre), ou interne (on forme la main d’oeuvre). Les grandes entreprises françaises tournées vers l’ export savent très bien faire cela.

 

Il y a aussi des facteurs d’ordre politique.

Le monde industriel est entré en crise dans les années 1970 pour diverses raisons, dont la baisse des gains de productivité, l’épuisement du modèle fordiste, la crise pétrolière de 73, la fin du système de Bretton Woods.

Un nouvel ordre économique s’est mis en place à partir des années 1980, d’abord dans  l’Angleterre de Thatcher et de Reagan, puis dans le reste du monde développé. Ce nouvel ordre, dans lequel la prospérité est due pour l’essentiel aux services et à la « connaissance » , doit sa dynamique à l’informatique, mais porte encore les stigmates de sa naissance. Les conservateurs britanniques et américains, suivis par leurs homologues dans le reste du monde, ont en effet imprimé leur marque politique sur le nouvel ordre. Les acquis de plusieurs décennies de luttes syndicales, les équilibres sociaux difficilement acquis au cours du XXème siècle ont été balayés, et présentés comme obsolètes, liés à un monde dépassé, et … responsables de la crise des années 1970, ce qui est une ânerie manifeste.

 La régulation sociale est indispensable,  et la volonté de détruire tout instrument de négociation, de laminer les syndicats, de priver les salariés de toute protection ne peut conduire qu’à des crises récurrentes.

La flexibilité a donc été érigée en idéologie  fétiche, et présentée comme indispensable même dans des secteurs où elle est totalement inutile, comme la fonction publique. Il n’y a, par exemple,  aucune justification  économique et rationnelle  au développement de la précarité dans la fonction publique .

 

Le CNE (destiné aux PME) le CPE (destiné aux grandes entreprises, qui n’en veulent pas vraiment), et, comme le gouvernement l’a affirmé au début du mois de mars, le « contrat de travail unique » qui se profile derrière ces deux ballons d’essai ne se comprennent que dans la logique idéologique néo-libérale. Il s’agit de faire porter sur le salarié  ET SUR LUI SEUL le fardeau du risque, en jouant exclusivement la carte de la « flexibilité externe ». Chacun sait parfaitement qu’un employeur n’ a pas besoin de deux ans pour savoir si un employé fait l’affaire ou pas : il ne s’agit pas de cela, mais purement d’utilisation de la variable « emploi » comme variable économique.  Le refus de cette institutionnalisation de la précarité que le mouvement actuel représente est d’une importance historique considérable. C’est bien la première révolte post-fordiste de grande ampleur que connaisse le monde développé : les patriotes seront heureux de constater que la France se montre à l’avant garde, et montre la voie.

 

  1. Une autre flexibilité, une autre régulation elle possibles ?

La réponse est oui, bien sûr. Certains pays, comme le Danemark et la Suède, sont à la fois très « capitalistes » et très sociaux. Il ne s’agit pas d’importer des modèles sans réfléchir, car la régulation sociale est un ensemble,  qui prend en compte les salaires, la sécurité de l’emploi, la formation , les politiques de retour à l’emploi.  Selon les pays, l’équilibre se fait de façon différente. La France combine les bas salaires, (il n’y a jamais eu une telle proportion de gens payés au SMIC), un service de l’emploi d’une redoutable inefficacité, et  un nombre très élevé de CDD. Vouloir « en rajouter une couche »  et institutionnaliser la précarité était donc  une belle maladresse.

La flexibilité peut être interne, et non externe. IL s’agit à la fois d’obtenir le principe d’une flexibilité entre les postes de travail dans l’entreprise (concession des syndicats) et une vraie politique de formation (concession du patronat). On nous parle depuis des décennies de formation, de « société de la connaissance ». Le sommet de Lisbonne de l’Union Europénne (avant qu’elle ne soit détournée par les néo-libéraux de type Bolkestein, ce qui a été catastrophique) avait stipulé que nous devions devenir les premiers du monde pour la « société de la connaissance ». Nous n’avons toujours rien vu.

Si on veut de la flexibilité, elle doit être acceptable pour tous, et s’accompagner d’une sécurité accrue, et d’une formation pour les chômeurs.

Le syndicalisme doit retrouver une place qu’il n’aurait jamais du perdre, et de vraies négociations remplacer les incantations télévisées sur le « dialogue », qui ne trompent plus personne.

Enfin, une réforme de grande ampleur du service de l’emploi, réunissant assedic et anpe sous un même toit, devrait avoir pour objectif de renforcer la formation des chômeurs quand c’est nécessaire, en développant les « politiques actives du marché du travail » dont on ne fait que parler sans jamais les appliquer.  Renforcer le contrôle des chômeurs n’est possible et acceptable que si une vraie – et fort coûteuse- politique d’encadrement et de formation est mise en œuvre, comme Tony Blair a su le faire en GB, du moins à l’égard de certaines catégories, comme les jeunes.  Nous avons le choix entre l’option française – ne rien faire- l’option américaine – contrôler et punir- et l’option scandinave – contrôler et former.

 

Conclusion : Comment sortir de la crise ?


Une crise, ce n’est jamais drôle. L’important est de ne pas voir les choses du simple point de vue individuel, car il s’agit véritablement d’un tournant historique, peut être plus important que celui de 68.  Le mouvement est légitime, et les étudiants , des « jeunes » eux aussi,  ont montré la voie. Il a été précédé par une crise des banlieues, en novembre, pour l’essentiel motivée par l’absence de perspectives d’emploi pour « les jeunes ». Un autre monde est possible, peut être. En tout cas, il faut essayer.

A court terme, seul le retrait du texte permettra le retour au calme. Monsieur le Premier Ministre devrait revenir à la poésie.

Publié dans jprevauger

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